La plante « à jouir »

1 février 2010

Nicot et ses successeurs ont remarqué par la suite que le tabac provoque un chatouillement voluptueux sur le nerf olfactif et donne à l’esprit une sorte de légèreté. Depuis Catherine de Médicis, l’emploi du tabac devient un art de cour. En revanche, Louis XIV est contre son usage ainsi que son médecin Fagon qui va écrire une thèse contre. Cependant l’opinion publique est favorable au tabac.

• Aussi, certaines grandes personnalités du XVIIe siècle vantent les vertus de tabac. Molière ose, devant la cour réunie au théâtre, s’opposer au roi dans Don Juan, acte I, scène 1, 1665. Sganarelle, joué par Molière, commence ainsi la pièce :

« Quoi que puisse dire Aristote et toute la philosophie, il n’est rien d’égal au tabac : c’est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n’est pas digne de vivre. Non seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l’on apprend de lui à devenir honnête homme. Ne voyez-vous pas bien, dès qu’on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d’en donner à droite et à gauche, partout où l’on se trouve ? On n’attend pas même qu’on en demande, et l’on court au-devant du souhait des gens : tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments d’honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent »

Le tabac a le pouvoir de raisonner les âmes, de les instruire, de leur donner de nouvelles facultés mais aussi il permet de devenir un « honnête homme ». Il ne produit que des effets positifs.

A cette époque, les utilisateurs du tabac étaient valorisés alors que ceux qui n’en usaient pas étaient dévalorisés et même rejetés (« n’est pas digne de vivre ») à l’inverse d’aujourd’hui.

• Plus tard, Balzac (1789-1850), écrivain français, réfléchit à la notion de plaisir que procure le tabac et le présente comme un hallucinogène savoureux.

« Il offre aux yeux des formes inquiétantes et bizarres qui donnent une sorte de supériorité aristocratique à celui qui s’en sert […] vous êtes couchés sur un divan, vous êtes occupés sans rien faire, vous pensez sans fatigue […] Votre cerveau acquiert des facultés nouvelles, vous ne sentez plus la calotte osseuse et pesante de votre crâne, vous volez à pleins ailes dans le monde la fantaisie. »

• Dans le Grand dictionnaire du XIXe siècle, 1877, Pierre Larousse retrace les effets positifs du tabac :

« Fumer, c’est obtenir une trêve de la tristesse, aux préoccupations irritantes, aux petites misères de la vie, aux chagrins domestiques, aux tracasseries d’un ménage mal assorti ; c’est aussi, en matière de travaux intellectuels et artistiques, se procurer, au moyen d’un surexcitation légère, un développement, une clairvoyance d’idées qui souvent vous fuient ; c’est un refuge contre ce qui blesse ou ce qui choque, contre le mécontentement de soi-même ou des autres ; c’est, dans les professions manuelles, une diminution des sensations de fatigue, d’ennui, de découragement ; c’est aussi une annihilation du mal que cause une atmosphère froide, humide, malsaine ; c’est enfin une jouissance émanant d’une faible congestion au cerveau, un étourdissement passager, une sorte d’ivresse légère qui caresse les nerfs et les empêche de vagabonder. »

Pierre Larousse montre que le tabac sert de remède mais aussi de moyen d’évasion.

Cet aspect d’évasion et de bien être que provoquent le cigare, la pipe, ou la cigarette figure bien dans ce qu’on appelle « le tabac de troupe ».

Le tabac de troupe est le nom du tabac qui fut distribué gratuitement aux soldats de l’armée française dans le but de remonter le moral des troupes.

• Le tabac intervient aussi dans la littérature comme un thème fréquent en poésie. Depuis le XVIe siècle les éloges du tabac se sont multipliées en vers, en odes et autres.

Auguste-Marseille Barthélémy (1796-1867) exprime longuement (94 pages) son engouement pour le tabac dans L’art de fumer, poème en trois chants, 1844 :

«  Je me suis demandé, non sans pâlir d’effroi

Quel serait le destin des hommes tels que moi,

Si le ciel extirpait des terrestres domaines

Le roi des végétaux qui calme tant de peines ;

Honorables fumeurs ! Que feriez-vous sans lui ?

Vous vous tordriez de rage ou sècheriez d’ennui… »

« Honorables fumeurs » montre que le fumeur est bien perçu, que c’est un homme digne de considération. Les fumeurs sont respectés.

Le tabac est une source d’inspiration pour le fumeur, le poète Stoppe (1697-1747) le prouve :

« Ma muse abandonne sa lyre

Lorsque s’éteint ma pipe

Car c’est toujours à son foyer

Qu’elle prend la flamme de mes vers.

Les mots et les rimes se défont
si le tabac ne les protège »

Le tabac peut être aussi un simple « ingrédient » poétique, il est comparé à d’autres éléments, comme le plaisir sexuel : « je fume une pipe brune comme le sein d’une petite négresse ».

Le tabac est assimilé à la méditation, à la fête, à la non-activité. Il sert d’apaisement car il calme les nerfs mais aussi de contre-poids au stress. Il provoque une rêverie, un bien-être, des vagues d’idées, un supplément d’âme, une rallonge d’inspiration. Le fumeur est donc considéré comme quelqu’un de serein. Tous les aspects du tabac sont positifs par conséquent, ceux du fumeur aussi.